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Le village des orangers
21 février 2011

TOTEM


 

 

Jean. –

Hugo. –

Paul. –

 

Un appartement sans dessus dessous. Le canapé est renversé et griffé, il y a des vêtements et des couvertures un peu partout autour. Le sol est sale. On y trouve des boîtes de conserves vides, des pelotes de poussières, du gravier de litière. Un grand frigo est sorti de l’angle, il est très mal placé. Ainsi qu’une baignoire, remplie d’eau. Jean est en boule dans les tissus. Hugo est assis en tailleur au dessus du frigo. Paul dans la baignoire.

Le téléphone sonne.

 

HUGO. – Encore ce téléphone ! Putain, on aurait du le bousiller. On peut pas être tranquille avec un téléphone. En plus, il arrête pas de sonner, de plus en plus. Je vais te le foutre par la fenêtre moi tiens.

 

JEAN. – Pas touche. Tu l’ignores.

 

HUGO. – Tu l’ignores, tu l’ignores. Ca t’empêche pas de dormir toi, cette putain de sonnerie. Moi depuis le début, je l’ai dit, je savais que ça serait l’enfer ce truc. Faut le bousiller. Au moins on coupe le fil quoi, hein, dis, on le coupe ce fil.

 

Le téléphone ne sonne plus.

 

JEAN. – C’est fini.

 

HUGO. C’est à cause de conneries comme ça qu’on y arrive pas. C’est sûr. Comment tu veux qu’on oublie alors que ça nous rappelle tout le temps. Des fois je sens j’y suis presque et bon sang ça repart. Ca casse tout quoi. S’il te plait, viens, allez, on le fous en l’air. On le noie dans la baignoire. Il boit la tasse et on se concentre.

 

JEAN. – La baignoire ! T’es con ou quoi, tu veux l’électrocuter ? Bah vas-y fous y les fils dans l’eau. Ca fera un grand flash, un bon grésillement et tu peux être sûr que Paul ira pas jusqu’au bout. Lui, il dit plus grand-chose. Il y est presque et toi tu veux le foutre en l’air à cause d’une sonnerie de téléphone ?

 

Le téléphone sonne à nouveau. Hugo s’accroche au plafonnier d’un bras et se balance. Il attrape l’appareil avec ses pieds et le ramène en hauteur. Jean bondit et le rattrape en prenant le fil du combiné dans sa bouche. Hugo se débat. Jean le griffe.

 

HUGO. – Aïe, tu m’as fait mal ! T’étais pas obligé de me foutre un coup de griffe !

 

JEAN. – J’aurai pu te crever les yeux. Les vrais chats, ils ont pas de pitié. Les vrais dans la rue c’est leur spécialité. Eborgner c’est comme une passion. T’es prévenu pour la suite.


HUGO. – La suite si il y a une suite. On passe pas le dernier cap. On stagne là. Demain ça fera un mois et si ça marche pas on a rien prévu. Demain, c’était l’objectif. On a dit du premier jour du mois au dernier jour du mois et ce sera fait. Mais moi je perds courage.

 

JEAN. – T’es qu’un macaque. Tu sais pas attendre. C’est pas facile de changer quand tu veux être un macaque mais ça te vas bien parce que t’as la bougeotte et tu peux pas rester en place. La patience, Hugo, la patience. Et puis descend de ce plafonnier.


Hugo remonte sur le frigo. Il commence à se gratter les cheveux.

HUGO. – C’était ta mère.


JEAN. – Quoi ma mère ?

 

HUGO. – Le téléphone, c’était ta mère. C’est toujours elle qui nous appelle. Parce que tu donnes jamais de nouvelles. Alors elle appelle, dès qu’elle peut, dès qu’elle a deux minutes sans occupation. Ta mère elle fout le bordel dans notre changement. Comment tu veux que je devienne un singe avec ta mère qui appelle tout le temps ?

 

JEAN. – Je vois pas le rapport.

 

HUGO. – Répond lui une bonne fois pour toute. Tu l’envoies chier, tu lui dis de plus appeler. Pourquoi tu le fais pas ?

 

JEAN. Les chats sont indépendants. Je fais ce que je veux, je m’en fous des autres. Qu’est-ce qui t’arrives ?

 

HUGO. Je me gratte. C’est les poux. Ils sont arrivés la troisième semaine. J’étais super content. Je pouvais voir le progrès. Je flippais de pas en avoir parce que toi tu as eu tes puces la première semaine. Ca me cassait le moral de te voir te gratter alors que moi, rien, que dalle.

 

JEAN. – Tu vois, tout vient à point à qui sait attendre. Passe moi une brique de lait. 

 

HUGO. – Y’en a plus.

 

JEAN. – Comment ça ? On en avait un plein frigo. On avait prévu le compte.

 

HUGO. – T’as abusé. Alors il y en a plus. T’as pas été économe.

 

JEAN. – Et merde. Avec quoi je vais faire passer mes croquettes. Si j’ai pas de lait je vomit toujours mes croquettes. Faut qu’on en trouve.

 

HUGO. – Débrouille toi, monsieur l’indépendant.

 

Jean marche à quatre pattes jusqu’à la fenêtre ouverte. Il saute sur le rebord.

 

HUGO. – Fais pas le con, on est au sixième. Tu vas te casser la gueule.

 

JEAN. – La fenêtre des voisins est ouverte aussi. Je vais inspecter leur frigo.

 

Il sort par la fenêtre. Hugo continue de se gratter la tête vigoureusement. Au bout d’un moment, il descend. En passant par le plafonnier il s’assoit sur le canapé renversé. Puis regarde le téléphone, la fenêtre, puis le téléphone. Il attrape l’appareil et se dirige vers la baignoire. Il va pour le jeter dedans mais au dernier moment le lâche, frappé de surprise. Jean réapparaît avec un pack de six litres.

 

JEAN. – Putain, je peux pas te laisser deux minutes ! T’es bouché ou quoi je t’ai dit que c’était dangereux ! Recule, éloigne toi de cette baignoire !

 

HUGO. – Jean, c’est Paul, il est bizarre.

 

JEAN. – Qu’est-ce qu’il a ?

 

HUGO. – Je sais pas mais c’est pas normal. Il brille. Pas partout mais par endroit. C’est argenté. Merde, Jean, on dirait…

 

JEAN. – Oh, merde…

 

HUGO. – Merde, merde, merde, merde, merde…

 

JEAN. – Oh, merde ! Ca y’est !

 

HUGO. – Merde, merde, merde, merde…ça y’est, tu crois, c’est…

 

JEAN. – Oui, merde, le con, il a bien avancé.

 

HUGO. – Oui, c’est… oh merde je peux pas le dire…

 

JEAN. – Tu l’as dit. Des écailles, il est plein d’écailles.

 

HUGO. – C’est magnifique.

 

JEAN. – Argenté, oui c’est ça, ça brille. Merde, il a réussi !

 

HUGO. – C’est pas terminé.

 

JEAN. Bientôt. Tu vois, faut pas désespérer. La patience, la patience. Le poisson a plus de patience que nous. Il a réussi le premier. Pourtant au début, il a eu du mal. Sa peau qui flétrissait c’était pas beau à voir. Mais il a rien dit, il a fermé sa gueule le poisson et voilà le résultat.

Hugo reste devant la baignoire, bouche bée. Pendant ce temps Jean, ouvre une brique avec les dent. Il sort de dernière le canapé une écuelle et un sac de croquette. Il mélange tout ça et mange comme on prendrait un bol de corn flakes.

 

HUGO. – Il faisait quoi dans la vie lui déjà ?

 

JEAN. – Je sais plus, un truc à la con. J’ai pas retenu. De toute façon c’est plus important. Hé, parle pas trop de sa vie d’avant devant lui, faudrait pas qu’il fasse une rechute. Non, pas moyen de savoir ce qu’il faisait le bougre. Ca t’as pas marqué plus que ça toi non plus ?

 

HUGO. Non, je me rappelle même pas qu’il me l’ait dit. Pourtant il a bien du nous le dire quand on a pris l’appartement. Tu sais pour ces histoires de garanties et tout. Le passage obligé, donc il a du donné les justificatifs. Moi, j’avais pas de salaire et toi c’est pas avec ton travail à la pompe à essence que t’aurai pu te porter caution. En gros c’est grâce à lui qu’on a pu tenter ça. Faut pas le décevoir, il nous donne l’exemple. C’est un sacré motivé.

 

JEAN. – Oui. Quand je pense que j’ai failli accepter l’autre rigolo là. Qu’est ce qu’il voulait être déjà ? Ah oui, lémurien. Tu te vois toi vivre avec un lémurien ? Non, et puis poisson c’était un projet fou, audacieux. On a bien fait de choisir Paul.

 

Le téléphone sonne. Longtemps.

 

HUGO. – Je m’en fous tu sais en fait de ce téléphone.

 

JEAN. Content de te l’entendre dire. Oh, cette nourriture est divine !

 

Hugo ouvre le frigo est en sort une grappe de banane. Il s’assoit côté de Jean et les épluche avant de les manger, avec appétit. Les deux mangent de plus en plus vivement, de moins en moins proprement. Ils se remplissent, se servent à nouveau, mangent encore et encore. Puis d’un même mouvement courent vers les toilettes. On les entend vomir.

 

HUGO. – Merde, merde, merde, j’en peux plus de manger toujours la même chose.

 

Il vomit.

 

JEAN. – Il le faut, Paul il a bouffé de la poudre pour poisson pendant un mois et ça a marché…

 

Il vomit.

 

HUGO. – C’est dur…

 

Il vomit.

 

Jean miaule et vomit.

 

On frappe à la porte. Long silence.

 

On frappe à la porte de plus en plus fort.

 

Paul dont on voit encore le visage, yeux fermés, descend progressivement se réfugier sous l’eau. La baignoire déborde un peu.

 

On frappe une dernière fois à la porte, un coup unique puis plus rien.

 

Hugo et Jean reviennent, blanc comme des linges.

 

HUGO. – C’était quoi ?

 

JEAN. – J’en sais rien.

 

HUGO. – C’était peut-être ta…

 

JEAN. – Ma mère vit en Italie benêt.

 

HUGO. – Peut-être que c’est la même personne qui téléphone sans cesse.

 

JEAN. – En gros, c’est personne.

 

HUGO. – Jean ! Paul a coulé. Regarde, il est sous l’eau. Viens voir ! Merde alors. Comment il peut respirer comme ça. Il peut pas retenir sa respiration aussi longtemps. Un homme ne peut tenir sa respiration que quelques minutes.

 

JEAN. – Son ventre bouge. Il respire. Il est pas en apnée, il respire.

 

HUGO. – Merde, merde, merde, merde…

 

JEAN. – Là, sur le côté, tu vois la fente. Sous la mâchoire !

 

HUGO. – Merde, merde, merde, merde…

 

JEAN. – Il a des branchies le salaud ! Il a des branchies ! C’est dingue, il respire sous l’eau le poisson ! Haha, tu vois ça Hugo, il a des branchies !

 

HUGO. – Merde, merde, merde, merde…

 

JEAN. – Faut brancher l’appareil qu’il a mis de côté. Celui qu’il a acheté au magasin des aquariophiles. Faut le brancher et l’immerger avec lui. C’est pour l’oxygène il a dit. Ca met de l’air dans l’eau.

 

HUGO. – Je vais le chercher. !

 

Hugo ramène une boite de derrière le canapé.

 

JEAN. – Dépêche toi il devient tout rouge. Il doit manquer d’air. Faut pas qu’il crève maintenant, si près du but. Tiens le coup Paul, tiens bon ! Pourquoi tu rougis comme ça bon sang ? Allez, il doit bien rester un peu d’oxygène dans la baignoire. Regarde je brasse, je brasse.

 

Jean bat l’eau. Il essaie de mélanger l’eau et l’air.

 

HUGO. – C’est bien fermé dis donc.

 

JEAN. – Bouges toi idiot. C’est important là. C’est notre modèle. On peut pas perdre notre modèle. Il nous fout un sacré espoir, là, avec ses branchies, ses écailles et ses rougeurs. Oh, merde…

 

HUGO. – Quoi ? Quoi ?

 

JEAN. – Il rougit de partout parce que …

 

HUGO. – Quoi ? Merde ! Quoi ?

 

JEAN. – Parce qu’il est…

 

HUGO. – Il est mort ! 

 

JEAN. – Il est un poisson rouge.

 

HUGO. – Oh, merde !

 

Hugo réussit finalement à ouvrir le paquet et place la pompe dans l’eau. Il branche le fil à une prise de courant. Les deux soufflent et regardent Paul. On entend le ronflement de la machine.

 

HUGO. La nuit tombe.

 

JEAN. – La dernière. Encore une nuit et c’est bon. Tu pleures ?

 

HUGO. – Je vais pas y arriver.

 

JEAN. – Rappelles toi pourquoi tu fais ça.

 

HUGO. – Je sais pas, je sais plus.

 

JEAN. – Dis le, dis le pourquoi !

 

HUGO. – Parce que je veux plus être humain, c’est trop dur. Je veux être un singe et passer de branche en branche. Vivre dans la forêt.

 

JEAN. – C’est ça. Pense à la forêt. Tout ira bien. On va finir ce qu’on a commencé il y a un mois et puis tu iras dans la forêt. D’accord ?

 

HUGO. – Oui.

 

JEAN. – Et il y aura beaucoup d’autres animaux, et des grands arbres immenses comme ceux qu’on a vu sur internet. Tu te rappelles les arbres qu’on a vus sur Internet ? Plus grands que toutes les tours de la ville. Tu les as oubliés ?

 

HUGO. – Non. Mais je pensais pas que c’était si dur de changer. C’est pas plus facile qu’être un homme.

 

JEAN. – C’est la transition. Paul le disait ça, la transition c’est dur. La transition c’est pas de la tarte. Il le disait ça Paul. Tu te rappelles ?

 

HUGO. – Oui.

 

JEAN. – Paul il a rien dit pendant la transition. Il savait que c’était difficile, il l’avait dit. Et regarde où il en est. Presque terminé. Et il ira vivre dans la rivière, Paul, avec les autres poissons et les grenouilles et tutti quanti. Ok ?

 

HUGO. – Ok.

 

JEAN. – Allez, arête de pleurer. Tu veux une banane ?

 

Hugo se précipite aux toilettes pour vomir. Jean retourne sur le rebord de la fenêtre.

 

JEAN. – La dernière nuit. Et qu’est-ce qu’elle est belle. Pas d’étoiles, juste des nuages mais elle est belle quand même. Demain c’est finit. Demain tout sera facile après la transition. Un mois, il disait Paul, il suffit d’un mois si l’on y croit, si on le veut vraiment. Je suis sûr qu’il a raison. Oui, il dit vrai. Tout ce qu’il a dit c’était vrai. Y’a pas de raison que ça marche que pour lui, ou que quand tu veux devenir poisson.

 

Hugo revient.

 

HUGO. – Dis. Comment id va rejoindre la rivière Paul si il est coincé ici dans la baignoire ? Il va pas pouvoir sortir non ?

 

JEAN. – Il a laissé des consignes. Il a dit qu’à la fin il va devenir tout petit comme s’il venait de naître. C’est beau ça, une deuxième naissance. Et quand il renaîtra, il faudra le mettre à l’eau. Il faudra le prendre en partant. Dans un bocal, un verre, une bouteille, un sachet. Et sur le chemin on le déposera au plus proche.

 

HUGO. – Il a vraiment tout prévu Paul.

 

JEAN. – Oui.

 

HUGO. – Pourquoi tu crois qu’il a choisit d’être comme ça lui ?

 

JEAN. – J’en sais rien. Pour oublier je pense. Ca a pas plus de quelques secondes de mémoires ces trucs là.

 

La lumière se coupe. On y voit encore grâce aux lumières de la ville qui entrent par la fenêtre.

 

HUGO. – Qu’est-ce qui se passe ?

 

JEAN. – On nous a coupé l’électricité. Les factures étaient pas payés. Ils ont choisit ce soir. C’est marrant non ? Qu’ils aient choisit ce coir pour nous couper l’électricité.

 

HUGO. – C’est pas rassurant. Au moins ce maudit téléphone sonnera plus jamais.

 

JEAN. – C’est un signe, on sort de la vie humaine tu vois. Y’a plus de retour possible. C’est la dernière ligne droite.

 

HUGO. – En attendant moi je vois rien du tout. Je vais me rapprocher de la fenêtre…

 

JEAN. – Fais gaffe tu va marcher sur le téléphone !

 

Hugo marche sur le téléphone.

 

HUGO. – Merde, merde, merde…Comment tu as pu voir ça toi ? Je le vois même pas alors qu’il est à mes pieds. Je le sens là, j’ai le pied dessus mais je le vois pas.

 

JEAN. – C’est facile pour moi. Là, il y a le téléphone mais il y a aussi le fil de la pompe juste après puis une pelure de banane, la serpillière, je crois qu’à côté c’est un morceau de gâteau. Sous le frigo y’a une chaussette. Y’a un bloc à papier derrière la baignoire, ça a pris l’eau, c’est tout ondulé…

 

HUGO. C’est dingue, tu vois dans le noir ! Comme un chat ! Tu vois dans le noir comme un chat ! Toi aussi tu avances, tu y arrives. Dis moi, dis moi encore ce qu’il y a dans la pièce.

 

Hugo avance doucement vers la fenêtre.

 

JEAN. – Canette.

 

HUGO. – Aïe. Dis moi plus vite.

 

JEAN. – Chaussure… fourchette… coussin… pantalon… cd… biscottes…

 

Hugo évite chaque objet suivant les indications en levant haut les jambes ce qui lui donne l’air d’interpréter une danse grotesque. Il grimpe à la fenêtre.

 

HUGO. – Merci, c’est un sacré bordel ici.

 

JEAN. – Tu devrais rester sur le canapé. Comme ça t’es sûr de pas te blesser en marchant sur un truc pointu.

 

Hugo saute de la fenêtre au plafonnier et se laisse retomber sur le canapé. Jean le rejoint très gracieux dans sa façon de marcher entre les objets épars et les déchets.

 

JEAN. – C’est comme un radeau ici. Le dernier radeau avant de se jeter à l’eau définitivement. T’entends ça Paul ?

 

HUGO. – Y’a un truc qui me chatouille.

 

JEAN. – C’est tes poux.

 

HUGO. – Non c’est…Oh, merde !

 

JEAN. – Quoi encore, ça devient fatiguant à la fin.

 

HUGO. – Merde, merde, merde, merde…

 

JEAN. – Quoi ? Merde ! Quoi ?

 

HUGO. – Tu as de la fourrure !

 

JEAN. – Oh, merde ! Ca y’est !

 

HUGO. – C’est doux et chaud. Ca a poussé d’un coup. Qu’est-ce que tu fais ?

 

JEAN. – Je me déshabille. Je me fous à poil justement. Complètement nu parce que ça y’est, je change vraiment. Les vêtements c’est bon pour ces pauvres humains mais j’en ai plus besoin. Je me sens libre. Libre, vraiment, sans tout ce poids sur moi, qui me serre sans cesse. C’est ça le pire, je m’en rends compte. Le pire c’est les fringues. Je me sens bien, j’ai chaud, je sens l’air de la fenêtre me remuer la fourrure. C’est si bon ! Toi aussi, vire tes fringues, montre que tu fais pas marche arrière. C’est la dernière ligne droite, tu peux pas reculer. T’es sur le radeau et il attend plus que toi, que tu sois prêt.

 

Hugo se déshabille. Les deux sont nus. On ne voit que leurs silhouettes.

 

HUGO. – Tu en as vraiment partout. C’est agréable, comme une peluche.

 

JEAN. – Je suis pas une peluche. Touche ! Touche pour voir si je suis une peluche.

 

HUGO. – Hé. Qu’est-ce que tu fais ?

 

JEAN. – Je me sens vraiment libre, maintenant.

 

HUGO. – Lâche moi, tu m’étouffes ! Pourquoi tu te colles à moi comme ça ? Jean !

 

JEAN. – M’appelle plus comme ça, y’a plus de Jean.

 

HUGO. – Tu… tu es sûr que tu veux faire ça ?

 

JEAN. – Tourne toi. Les animaux font par derrière.

 

HUGO. – Mais je suis pas encore prêt. J’ai pas encore le pelage alors tu vois…

 

JEAN. – Je vais t’aider à le faire venir. Viens là. Arête de bouger. Voilà.

 

Jean prend Hugo qui se débat un peu, puis se laisse faire. Il prend de plus en plus de plaisir. On entend sa respiration forte.

 

JEAN. – Regarde, ça vient tout seul. Tes pieds deviennent des mains, petit singe. Ton poil pousse.

 

HUGO. – Oui.

 

JEAN. – Alors laisse toi aller. C’est ça le vrai changement. Ca vient tout seul tu vois. Il suffit de ne pas réfléchir petit singe.

 

Hugo jouit. Jean descend du canapé et viens s’asseoir près de la baignoire.

 

On frappe à la porte violemment.

 

HUGO. – Il est revenu. Jean, on a frappé.

 

On frappe à la porte longtemps, sans interruption.

 

HUGO. – Jean ! J’arrive pas à faire le passage ! J’ai mes poux, mon pelage, ma queue de singe, mais je suis toujours humain ! Jean je veux passer de l’autre côté ! Je pense à cette forêt pleine de feuilles et de branches ! C’est là que je veux vivre ! Pas ici !

 

On essaie d’enfoncer la porte.

 

HUGO. – Si la porte lâche il va m’emmener, celui du téléphone et celui qui frappe si fort à la porte. J’ai peur. Je veux pas devenir un animal de foire moi, je veux devenir un vrai singe, et puis qui ira mettre Paul dans la rivière ? Hein ? Qui ? Toi tu as pas les mains pour ça alors que moi j’en ai quatre. C’est moi qui vais mettre Paul à l’eau. Je peux pas faire machine arrière c’est toi qui l’as dit. Merde, merde, merde, merde, merde…

 

Hugo gesticule dans tous les sens. La porte craque, les gonds cèdent. Hugo a juste le temps de s’accrocher au plafonnier, tremblant de peur.

 

 

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