Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le village des orangers
21 février 2011

Fresque


 

 

 

Au pied d’un mur sans limites.

Deux hommes, un carton, de l’ombre.

 

Salem

Sabin

 

Sabin est assis contre le mur.

Salem fouille dans le carton.

 

 

SABIN – tu trouves ?

 

SALEM – Ce carton est le plus grand des cartons. C’est dense à l’intérieur. Je cherche.

 

SABIN – Tu es sûr que tu ne veux pas…

 

SALEM – Non.

 

SABIN – Je m’ennui. Trois mois que je fais la cale pour ton mur. Tu sais je ne l’ai jamais vu bouger. Tu crois qu’il aurait envie de se pencher sur nous, insignifiants que nous sommes ?

 

SALEM – La curiosité, Sabin, la curiosité. Les murs ont des oreilles parce qu’ils sont curieux. Et s’il lui venait l’envie, juste un instant, de tordre quelques pierres, qui ne sont pas des articulations ? Alors nous ne pourrions pas courir assez vite pour lui échapper.

 

SABIN – La nuit va tomber.

 

SALEM – Comme toujours.

 

SABIN – Fais du café.

 

SALEM – Tu ne veux pas dormir ?

 

SABIN – Tu vas trouver ce que tu cherches. Cette nuit. Et je veux être là quand ça commencera. Fais du café.

 

 

Salem sort du carton une cafetière, un réchaud, une bouteille d’eau en plastique, des allumettes, des tasses, du sucre. Préparation. Service. Sabin boit comme il peut, toujours collé aux pierres froides. Le silence. Les couleurs se font chaudes. Le soleil se couche. La main de Salem se met à trembler.

 

 

SALEM – Je l’ai.

 

SABIN – amen.

 

SALEM – Le sucre.

 

SABIN – Quoi le sucre ?

 

SALEM – Ce n’est pas du sucre, c’est de la craie. Toute la boîte de craies.

 

SABIN – C’est pour ça que mon café à mauvais goût alors.

 

Salem se place devant le mur, une craie à la main.

 

SABIN – tu es bien sûr de toi ?

 

SALEM – Oui. Dis moi ce que tu vois, mon dos est tourné.

 

SABIN – Soit.

 

Alors Salem commence à dessiner, à la craie, des dessins en tout genre et des arabesques. Tout le long du mur, pierre par pierre. Il s’agite, il veut aller vite mais sa main est sûre.

 

SABIN – La ville s’éclaire. Les fenêtres sont lumineuses.

 

SALEM – Et là ?

 

SABIN – Tout s’est éteint, d’un coup. Comme si un souffle fort avait soufflé toutes les bougies en une seule fois.

 

SALEM – continue, continue !

 

SABIN – Le puit. Le puit sur la place luit. Rouge comme un brasier, il fait danser les ombres autour de lui. Tu entends les craquements ? Ils accompagnent des nuées de cendres et de lucioles qui ne remontent pas vers le ciel mais tournent violemment autour du foyer. Quel spectacle !

 

SALEM – L’alerte est donnée ! Il faut que tout le monde soit là.

 

SABIN – Oui, ils sortent de chez eux et courent comme des fourmis excitées. La cloche sonne. Tous vivront bientôt le même cauchemar. Les flemmes s’étendent et lèchent déjà le visage des enfants. Il n’y a pas d’autres points d’eau que ce puit. Personne ne pourra éteindre notre colère… Comment ? Salem ! Pourquoi cela s’arrête.

 

SALEM – Ne t’arrête pas.

 

SABIN – Les choses changent. Les flemmes sont bleues et roses, elles sont une lumière douce. Les pointes qui giflaient les joues sont comme des feuilles caressantes. Salem ! Tout redevient paisible et même agréable. Pourquoi ? Ils nous ont bannis, ils n’ont ont chassés. Nous voilà condamnés depuis trois mois, sans pouvoir quitter l’endroit, sans pouvoir retrouver notre toit. Et depuis tout ce temps tu remues ton carton et tu trouves enfin et c’est tout ce que tu peux faire ?

 

SALEM – Je voulais juste qu’ils comprennent.

 

SABIN – Fou ! Tu leur montres maintenant la douceur qui t’habite. Les orangers s’illuminent autour du village et dans ses rues. Les fruits brillent dans la nuit. Que…

 

SALEM – Je leur montre le chemin.

 

SABIN – S’ils suivent le chemin éclairé c’est ici qu’ils arriveront. Tu les appelles ?

 

SALEM – Ils ont vu ma force et l’ont craint. Ils ont vu mon pardon et ils viendront nous chercher. Ne faisons-nous pas partis de cette grande famille ? J’ai ramassé les fruits sur ces arbres toute mon enfance et cette terre a nourri chacun d’entre nous. C’est l’ignorance qui les a aveuglés mais je leur rends la lumière au milieu de la nuit. J’ai envie. Je souhaite de tout mon cœur revoir ceux que j’aime même si la peur a déformé leur visage l’espace d’un instant. Viennent-ils ?

 

SABIN – Ils viennent ! Tous ! Une armée enragée ! Ils ont compris, ils foncent, rien ne les arrêtera à part toi. Et si tu ne le fais pas je le ferais moi-même.

 

SALEM – Ils sont mes invités ce soir.

 

SABIN – … Je vais t’en empêcher, il est encore temps.

 

Sabin tente de se lever. Il lutte mais ses jambes ne bougent pas, et son dos s’est enfoncé dans la pierre. Il hurle de rage et se débat.

 

SABIN – Tu m’as piégé !

 

SALEM – Je savais ta vengeance. Je ne pouvais pas te laisser garder ton corps libre. C’est pour ça que c’est toi qui as pris la place d’atlas que tu as accepté de ton plein gré.

 

SABIN – Tu m’as dit que c’était le seul moyen d’agir, de contrôler et de renverser les choses.

 

SALEM – Vrai mais ce sera à ma façon.

 

SABIN – Retourne toi donc et vois ! Leur procession. Leurs regards et les armes qu’ils portent. Si tu voyais cette haine !

 

SALEM – Si je me tourne tout est fini. Tout s’arrête, lumières et chemins, mais nous serions nu et sans défense. Je ne reconnaît pas la les gens que nous connaissons si bien. Ceux avec qui nous avons vécus. Je ne peux pas me retourner et je doute de ton témoignage.

 

SABIN – Laisse donc ce mur.

 

SALEM – Cela ne marche qu’une seule fois et tu ne peux pas bouger. Je dois aller au bout.

 

SABIN – Alors les étoiles ce soir nous verrons mourir.

 

Sabin se débat encore. Epuisé, sa tête retombe. Il sanglote. Salem est toujours en train de crayonner les pierres, il en a recouvert une grande partie déjà. Il s’aperçoit alors des larmes de son ami. Moment d’hésitation. On entend les pas de la foule qui remonte la colline. Ils sont proches. Les premières silhouettes se dessinent sur le mur, ni armées ni menaçantes. Alors Salem laisse tomber sa craie et se retourne.

 

SALEM – Nous souhaitons rentrer. Revenir. Je vous ai guidé vers nous et nous sommes sans défense. Je vois que vous ne froncez pas les sourcils, il y a de la bonté dans vos yeux malgré la surprise. Je vous vois déjà tendre la main. Regarde Sabin, ils écartent les bras. Nous pouvons être accueillis à nouveau. Oublie ta colère, je te porterai jusqu’au puit et l’eau te rendra ce corps qui a séché. Allons-y Sabin.

 

Sabin lève alors le seul bras qui n’a pas perdu sa liberté et cogne son poing violemment contre le mur. De nombreuses fois, de plus en plus fort. Et le sang qui coule de ses phalanges jaillit. C’est avec ce sang qu’il continue à son tour la fresque murale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Commentaires
Le village des orangers
Publicité
Albums Photos
Derniers commentaires
Publicité